Attendez… Est-ce que Shein a vraiment une page sur son site internet dédiée à ses engagements écoresponsables ? Et oui je n’ai pas rêvé. Shein ou l’art de raconter n’importe quoi.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Shein, c’est une entreprise chinoise, symbole de l’ultra fast-fashion. On pourrait résumer son fonctionnement par : “Plus de vêtements (et plus que la fast-fashion) toujours moins chers”.
Pour en revenir à ses fameux engagements écologiques, le site français de Shein consacre une page à sa “Responsabilité sociale et environnementale”. La marque parle ainsi de “fibres recyclées”, de “quantité limitée de nouvelle production” ou de “bien-être animal”. Dans le détails, Shein annonce utiliser du polyester recyclé et ne produire que 50 à 100 pièces pour chaque nouveau produit.
En un clic sur leur catégorie “vêtements pour femmes”, 333 354 références apparaissent, avec des vêtements ne coûtant que 0,99€ (0,99€!!!!). Je ne vois pas très bien en quoi la quantité est raisonnée… En continuant de fouiller un peu et en sélectionnant les produits par matière, le site comptabilise 196 034 vêtements en polyester, soit 58% des produits. En ajoutant l’acrylique et le nylon, on arrive à 226 445 produits, soit près de 68% des vêtements qui sont en matières synthétiques. Un chiffre confirmé par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui rappelle, dans son rapport, que 60% de tous les vêtements sont fabriqués à partir de fibres synthétiques. Des fibres fabriquées à partir de pétrole (le polyester c’est du plastique), d’énergies fossiles et qui sont donc extrêmement polluantes. Alors c’est certain, la fourrure ou le cuir synthétiques peuvent rentrer dans la catégorie du bien-être animal… mais au détriment de la planète.
Evidemment Shein n’est pas la seule marque prise en flagrant délit de greenwashing. Et je me suis donc demandé si cette tromperie pouvait expliquer l’essor des marques de fast-fashion et d’ultra fast-fashion. Comme le rappelle cet article (en anglais), “The Atlantic a rapporté que les marques d’ultra fast-fashion (mode ultra rapide) Asos, Boohoo et PrettyLittleThing ont toutes connu une croissance significative depuis les confinements, d'autant plus qu'elles n'ont pas eu à faire face aux difficultés des marques ayant des magasins”. Dans l’article de The Atlantic on peut lire qu’“en temps de crise, les consommatrices et consommateurs n'arrêtent pas de faire leurs achats. Elles et ils limitent simplement leurs achats à des plaisirs abordables."
Et si on ajoute à ces marques d’ultra fast-fashion, des acteurs comme Zara, H&M, Uniqlo et Primark, le marché mondial de la mode rapide devrait passer de 25,09 milliards de dollars en 2020 à 30,58 milliards de dollars en 2021, selon un rapport de Research and Markets. Il devrait atteindre 39,84 milliards de dollars en 2025. Le rapport attribue la croissance du marché aux jeunes consommatrices et consommateurs qui sont “attiré·es par les vêtements tendances et abordables”. Des chiffres effrayants quand on connaît l’impact de l’industrie textile sur les humains et la planète…
Ce qui est encore plus perturbant c’est de voir à quel point ces marques fonctionnent auprès des jeunes générations, pourtant conscientes des enjeux environnementaux et sociaux de notre époque. Selon l’article, qui cite une enquête Monitor™, “la majorité des consommatrices et consommateurs de moins de 35 ans (65%) disent qu'elles et ils prévoient d'acheter des vêtements dans des endroits comme Zara, H&M et Uniqlo aussi souvent (48%) ou plus (17%) qu'avant la pandémie”. Pourquoi ? “Selon l'association caritative environnementale londonienne Hubbub, 41% des 18-25 ans ressentent le besoin de porter une tenue différente à chaque sortie”.
Ces chiffres me font réfléchir. Comment en est-on arrivé là ? La mode durable est-elle suffisamment accessible ? Avons-nous, nous les médias, suffisamment expliquer les enjeux de l’industrie textile ? Peut-être l’avons-nous mal fait ?
La question du prix est complexe. Car beaucoup de celles et ceux qui achètent de la fast-fashion achètent en réalité beaucoup de vêtements (et dépensent beaucoup). La pression sociale et celle des réseaux sociaux comme Instagram aggrave évidemment cette situation. Et à toutes celles et ceux qui répondent que la seconde main ou le vintage est une belle solution pour éviter d’acheter dans ces enseignes, certes, mais attention au mépris de classe que peuvent ressentir les personnes qui n’ont pas les moyens d’acheter des vêtements neufs et durables. La seconde main devrait être un choix, pas une obligation ou la seule alternative.
Je crois que les marques ont leur rôle à jouer : comment être plus accessibles (pas forcément sur le prix mais aussi dans le discours), comment intégrer des personnes qui ne se sentent pas concernées par les enjeux de l’industrie textile ? Comment sortir de l’entre-soi que nous avons recréé (comme la mode classique) ? Et quel rôle doivent jouer les gouvernements dans cette transition ?
Je n’ai pas (encore) de réponses mais en ce moment je m’interroge beaucoup… et je suis curieuse de lire ce que vous en pensez !
Xx
Chloé
Bonjour Chloé,
Je vous suis depuis l’année dernière lorsque je préparais mon mémoire sur la mode responsable dans le cadre du master 2 Développement Durable & Organisations – Dauphine. Suite à votre billet et à mes lectures depuis plus d’un an, je vous fais part de mes surprises et questionnements sur la mode durable :
- une stigmatisation de quelques enseignes de fast-fashion (toujours les mêmes par ailleurs) alors que toutes les marques et enseignes, quel que soit leur positionnement, ont adopté les pratiques de la FF (ce que j’essaie de montrer dans mon mémoire) ; une stigmatisation que je comprends mais qui a pour effet de rejeter dans l’ombre toutes les marques non citées qui sont clairement de la FF mais aussi toutes les autres qui ne sont pas assimilées à de la FF mais qui mettent en œuvre les pratiques de la FF.
- les généralités, les stéréotypes, les idées reçues associées à des générations : les jeunes sont comme ci, les « boomers » sont comme ça. Or les comportements d’une classe d’âge ne sont pas homogènes et nous sommes tous des êtres paradoxaux…
- L’éco-système de la mode responsable/durable me semble composé d’acteurs au profil sociologique similaire, sensibles aux questions sociales, sociétales et environnementales. Mais ils ne sont pas représentatifs et apparaissent s’adresser à leurs « pairs », à la même population finalement.
- un aspect moral qui sous-tend les discours de nombreux acteurs. Il est peut-être inconscient mais cet aspect m’a beaucoup surprise. Par exemple, il faut acheter en seconde main (c’est bien), il ne faut pas acheter chez H&M (c’est mal).
- les produits de la FF sont de mauvaise qualité. Je ne partage pas tout à fait cette assertion. Oui, des produits FF sont de mauvaise qualité mais pas tous. Vous savez bien qu’un top en polyester, matière non responsable, peut s’avérer durable car le polyester est solide. Et certains produits plus chers, voire beaucoup plus, issus par exemple de marques qui se disent « premium – luxe abordable » ne sont pas du tout de bonne qualité. D’ailleurs le sujet du coefficient appliqué au prix de revient pour déterminer le PV consommateur de ces marques est tabou…
La mode est donc un sujet bien complexe ! Le modèle d’affaires des marques et enseignes de mode s’inscrit dans un contexte d’hyperconsommation et d’hyperproduction qui concerne tous les secteurs de notre société (cf Moati, Lipovetsky) et qu’il est nécessaire de prendre en compte pour comprendre les comportements du consommateur de mode et tenter de les faire évoluer.
Je rejoins donc vos interrogations et je n’ai pas non plus de réponse !
Vous félicitant pour votre engagement et vous remerciant d’avoir pris le temps de lire ces quelques réflexions,
Au plaisir d’échanger,
Béatrice