Liz Ricketts : "J'étais amoureuse de la mode, et puis j'ai découvert l'envers du décor"
Elle a créé The OR Foundation pour alerter sur les dérives des dons de vêtements
C’est devenu le combat de sa vie. Alerter sur les dérives des dons de vêtements, qui débarquent chaque jour au Ghana. Des jeans, des chemises, des t-shirts que nous ne portons plus, ici en Europe ou aux Etats-Unis, et qui terminent leur vie à Accra, la capitale du Ghana, sur le marché de Kantamanto surnommé “la capitale de la seconde main”.
“J’étais amoureuse de la mode, commence-t-elle, j’étais styliste, et puis j’ai vu l’envers du décor”. Une histoire que j’ai trop entendue : une passion qui se transforme en déconvenue à cause du gaspillage et du drame humain.
“Avec l’arrivée de la fast-fashion, on nous demandait de créer toujours plus vite, le marketing est devenu tellement puissant que les designers ont perdu le lien qu’ils avaient avec les consommatrices et consommateurs. Je voulais continuer dans la mode mais pas comme ça, je voulais être alignée avec mes valeurs. Alors j’ai commencé à m’intéresser à l’upcycling, puis à faire du conseil auprès d’entreprises spécialisées dans le commerce équitable. L’une d’entre elles était au Ghana”, retrace Liz Ricketts. C’était il y a plus de 10 ans et c’est ainsi que son combat a commencé, avec The OR Foundation.
“On a décidé de créer The OR Foundation, avec mon associé Branson Skinner, après avoir vu les tonnes de vêtements dans des décharges ou sur les plages du Ghana. J’ai alors compris ce que voulait dire la mode jetable. Jusqu’à présent j’étais dans une industrie du rêve, là j’étais confrontée à la réalité de la mode. On a donc décidé de créer cette association pour informer les jeunes générations, avant qu’ils et elles ne deviennent des consommateurs et consommatrices. Car si ces vêtements de seconde main sont surnommés les “Dead White Man’s Clothes” ou “Vêtements de l’homme blanc mort”, c’est que pour la plupart des gens au Ghana et notamment des jeunes, les personnes qui portaient ces vêtements sont probablement mortes. Personne ne sait vraiment d’où viennent ces vêtements, il y a un manque cruel de transparence. De l’autre côté non plus, aux Etats-Unis ou en Europe, on ne sait pas que les vêtements donnés peuvent terminer leur vie ici”, détaille-t-elle.
C’est bien tout un système qu’il s’agit de changer. Car les promotions, le rythme effrénée des nouvelles collections, toutes ces incitations nous poussent sans cesse à acheter de nouveaux vêtements et à se débarrasser des anciens. Mais ce geste, qui au départ peut être pensé comme une bonne action, est en réalité loin d’être idyllique. Evidemment, il vaut mieux donner ses vêtements plutôt que de les jeter, et certains sont recyclés, réutilisés, et même revendus (y compris à l’étranger), mais une autre partie contribue à appauvrir les populations locales et à polluer la planète.
“Les vêtements de fast-fashion ne sont pas faits pour avoir une seconde vie, ils sont de mauvaise qualité. Quand un jean est déformé, nous on peut le laver et le mettre au sèche-linge pour qu’il retrouve sa forme initiale, mais ça n’est pas le cas au Ghana, donc le vêtement n’est ni portable, ni revendable.”, explique Liz. Et les conséquences humaines sont désastreuses. Car “uniquement 20% des revendeurs” du marché de Kantamanto parviennent à vivre de cette activité, les autres sont endettés. Les importateurs achètent des balles de vêtements sans pouvoir choisir leur contenu. À l’intérieur, une majorité des vêtements sont trop sales ou déformés pour être mis en vente. Ils sont donc jetés et terminent leur vie dans des décharges ou sur les plages du pays. Et comme la plupart des articles sont en polyester, et donc en plastique, les conséquences environnementales sont catastrophiques. “Les revendeurs s’endettent pour acheter des vêtements qu’ils ne peuvent pas revendre, et ils n’ont plus assez d’argent pour investir dans des vêtements de meilleure qualité. Ils ont honte car ils ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur famille”. C’est un cercle vicieux.
Un autre drame humain se tisse au Ghana, celui des “Kayayei”, les porteuses. Ces femmes ou jeunes filles portent les balles de vêtements sur leur tête, sur des kilomètres, pour un salaire de misère. “Certaines se blessent, mais en perdant ne serait-ce qu’un seul jour de salaire, elles ne peuvent plus payer leur loyer, dorment dans la rue et sont victimes de violences sexuelles. Avec The OR Foundation, nous essayons de leur fournir de l’aide médicale, de la nourriture, nous avons aussi créé un programme pour les mettre en relation avec des entrepreneures, pour leur permettre d’échapper à ce destin”, détaille Liz.
Evidemment, la fondation peut mener toutes ses actions grâce aux dons individuels, mais “il faut un changement plus global, au niveau politique”, estime Liz. En France, nous avons le principe de la REP (Responsabilité Elargie des Producteurs), qui est une obligation légale pour les produits TLC (Textile d’habillement, Linge de maison & Chaussure) neufs. Il oblige les metteurs en marché de ces produits à contribuer financièrement aux coûts de collecte, tri et valorisation des TLC usagés, auprès de l’éco-organisme Refashion. Pour Liz, cela n’est pas suffisant, car les populations locales ne bénéficient pas de cette contribution pour gérer les déchets textiles. Et de conclure : “Nous ne devons plus autoriser ce gaspillage”.