Je suis de retour. Et je suis très heureuse de reprendre le clavier pour nos rendez-vous épistolaires. Sachez simplement que ces newsletters et les épisodes du podcast ne seront peut-être pas aussi nombreux et réguliers, car j’ai décidé de ralentir, de prendre le temps avant de créer du contenu. Un peu comme pour la mode, moins mais mieux.
Ceci étant dit, je viens de passer 7 semaines riches, en compagnie de Manon, ma première stagiaire. Une bouffée d’air frais, qui tombait au moment même où je m’interrogeais sur l’avenir de Nouveau Modèle. Je la remercie chaleureusement de m’avoir aidé à imaginer la suite, et d’avoir créé ce visuel en début de newsletter (vous aimez ?).
Pour en revenir au sujet de notre newsletter, vous vous en souvenez peut-être, j’en avais parlé avec Nathalie Lebas-Vautier de Good Fabric dans un épisode, mais également avec la marque Petit Bateau : il y aurait plus de coton bio en circulation qu’il n’en existe réellement. Ah la bonne affaire. Et bien une enquête du New York Times vient de le confirmer. “La culture du coton biologique en Inde semble être en plein essor, mais une grande partie de cette croissance est fausse, confient ceux qui achètent, transforment et cultivent le coton.”, peut-on lire en introduction. Et c’est un vrai problème car l’Inde fournit près de 50% du coton bio mondial.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Au cœur du problème se trouve un système de certification opaque et corrompue. Un système qui encourage les fraudes. Certains organismes chargés de labelliser les vêtements s’appuient sur des agences d'inspection locales qui fondent leurs conclusions sur un seul contrôle annuel planifié (dans le cas des installations) ou sur quelques visites aléatoires (pour les exploitations).
Pour étayer leurs propos, les journalistes s’appuient sur plusieurs témoignages, dont celui de Crispin Argento, fondateur et directeur général de la Sourcery, une petite société de conseil qui aide les marques à s'approvisionner en coton biologique. Impossible pour lui de récupérer les preuves d’authenticité auprès des fournisseurs de coton biologique. Il estime même qu'entre la moitié et les 4/5 de ce qui est vendu comme coton biologique en provenance d'Inde n'est pas authentique.
L’enquête détaille précisément comment nous en sommes arrivés là.
“À la fin des années 1990, alors que le coton cultivé sans pesticides chimiques ni engrais synthétiques était un produit rare acheté exclusivement par des marques haut de gamme, deux entreprises suisses ont créé la Fondation bioRe pour soutenir la culture du coton biologique dans le Madhya Pradesh en Inde.”
Il y a quatre ans, des employés de bioRe ont rendu visite à M. Ali, dans son village, Chandanpuri, pour le convaincre, lui et d’autres agriculteurs, de convertir leurs champs de coton au bio, en promettant de payer pour la formation et les semences, de leur apprendre à fabriquer des engrais organiques, et de leur verser une prime par rapport au prix du marché du coton conventionnel. M. Ali et neuf autres agriculteurs ont accepté. M. Ali estimait, en plus, que les semences génétiquement modifiées coûtaient cher, asséchaient le sol, et que les pesticides et les engrais chimiques étaient toxiques. Il était ravi de revenir aux méthodes naturelles, comme celles pratiquées par son grand-père. Il y a trois ans, M. Ali a donc entamé le processus laborieux de conversion de sa ferme. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu : sa première récolte de coton biologique était bien plus maigre que ce à quoi il était habitué avec l'agriculture conventionnelle, et ses coûts en semences et en main-d'œuvre dépassaient de loin les primes payées par bioRe. “Je vais devoir fermer parce que je subis des pertes. Ces entreprises gagnent beaucoup d'argent, mais l'argent ne nous revient pas”, a-t-il expliqué aux journalistes.
En fait, personne ne leur avait expliqué que “la culture sans pesticides ni engrais chimiques produisait en moyenne des rendements inférieurs de 28 % à la culture conventionnelle du coton ; que les graines de coton bio produisaient des fibres plus courtes et de moindre qualité ; et que de plus en plus de marques négociaient le prix du coton biologique pour le payer au même prix que le coton conventionnel”. Même si récemment les prix se sont envolés (une forte demande grâce à la reprise conjuguée à la hausse des cours de l'énergie et du transport).
“Vous avez une situation où vous avez une demande croissante, une offre en déclin et un système de certification sur papier. Résultat ? Vous créez un marché pour les certificats”, explique Hilde van Duijn, qui, de 2017 à 2018, était la directrice exécutive d'Organic Cotton Accelerator. Finalement, contre un peu d’argent, il est assez facile de falsifier un certificat papier.
Et aucun label ne semble épargné par ce système de fraude, pas même le GOTS. En Inde, comme dans d'autres pays producteurs de coton, un certificat de transaction papier GOTS est délivré à chaque fois que le coton est vendu tout au long de la chaîne d'approvisionnement : à l'égreneur (le moment où la fibre de coton est séparée de la graine), au filateur, et à l’usine. Mais GOTS, comme les autres, fait appel aux bureaux locaux d'entreprises d'inspection internationales, comme OneCert, EcoCert et le géant Control Union, pour vérifier chacune de ces étapes. “Ces entreprises - qui sont payées par les mêmes égreneurs, filateurs et agriculteurs qu'elles sont censées surveiller - visitent les fermes, testent les semences pour les OGM, inspectent et vérifient une fois par an les installations qui traitent, filent, tissent, teignent et cousent les vêtements. Ils produisent ensuite un certificat papier, qui est envoyé à GOTS, qui transmet le papier aux fabricants de vêtements, qui le transmet aux marques.”, apprend-on.
Sauf qu’à chaque étape, il est très facile de falsifier le certificat papier et de faire passer du coton conventionnel pour du coton biologique. “Les inspecteurs vérifient une fois par an qu'une installation est capable de suivre le protocole de séparation du coton biologique, et ils n'inspectent pas tout le coton qui y transite. De plus, il n'y a pas de base de données centrale pour rechercher les numéros de transaction afin de s'assurer qu'un certificat n'a pas déjà été utilisé. De cette manière, le volume de coton biologique certifié double, triple ou même quadruple au fur et à mesure de sa progression dans la chaîne d'approvisionnement.”
Pour preuve : l’article révèle qu’en octobre 2020, GOTS a annoncé qu'il avait découvert un stratagème frauduleux de certains producteurs pour créer de faux certificats de transaction approuvés par le gouvernement. “GOTS a donc banni 11 entreprises de son système, ce qui a affecté au moins 20 000 tonnes de fibre de coton biologique, soit un sixième de la production totale de l'Inde.”
Et attention, ce problème ne se limite pas à l'Inde : des questions similaires se posent en Chine et en Turquie.
Alors si vous êtes une marque, le seul moyen de vous assurer que votre coton biologique est réellement biologique est d'investir directement dans les agriculteurs, ou de passer par des organisations comme Good Fabric qui travaille sur le terrain. Pour les consommatrices et consommateurs c’est plus difficile et déprimant. Notre “seule arme” est de moins acheter pour ne pas alimenter ce système et de voter pour des politiques qui oseront transformer radicalement le secteur de la mode.
Merci pour cet article. Effectivement, c’est déprimant en tant que consommatrice. On essaye d’aller vers des meilleurs choix de consommation mais finalement, on est quand même trompé. Je ne vais même plus avoir confiance au label GOTS 😔