La mode file du mauvais coton
Continuons cette série de newsletters sur le coton, une matière qui représente 25% de la production textile mondiale (selon l’ADEME et le cabinet Deloitte).
C’est une fibre qui fait parler d’elle depuis quelques jours. Car “en à peine 15 mois, le cours du coton s’est envolé : il a dépassé la barre symbolique du dollar la livre, soit les 453 grammes. Que cela soit la Chine, l’Inde ou les États-Unis, les pays super-producteurs sont en difficulté et ce, en raison de plusieurs facteurs : les intempéries dans les champs de production, la crise du Covid-19 et une demande qui explose”, explique cet article.
Une demande qui explose… intéressant. Pourquoi cette matière est-elle autant utilisée dans le textile ? Pour le comprendre, il faut remonter un petit peu en arrière. Je lisais récemment un très bon article dans le magazine Causette sur l’histoire du coton. Et son histoire n’est vraiment pas très glorieuse. Tout commence, rappelons-le, avec l’esclavage aux Etats-Unis. “Au milieu du XIXe siècle, l’industrie cotonnière est devenue une question de vie ou de mort pour 4 millions d’esclaves dans le sud des Etats-Unis, qui fournissent à l’Europe la quasi-totalité de ses importations de coton”, écrit la journaliste, et de continuer “en 1862, 20 millions de personnes dans le monde, soit 1 habitant·e de la planète sur 65, est impliqué·e dans la culture ou la production de vêtement en coton”. Un véritable géant, déjà à cette époque !
Avec la fin de l’esclavage et la mécanisation, la production s’est délocalisée en Asie. Il y a quelques mois, je recevais sur le podcast, Navbakhor Boudot, créatrice de l’association Eco Couture à Lyon. Navbakhor a grandi en Ouzbékistan, forcée de récolter le coton, surnommé l’or blanc, une manne économique pour le pays. Sauf que cette culture intensive, à laquelle s’ajoutent l’utilisation de pesticides, d’engrais chimiques et les détournements de fleuve pour l’irrigation, a tellement pollué la région que la mer d’Aral s’est asséchée et a quasiment disparu aujourd’hui. Pourtant, malgré cette pollution évidente, la demande continue d’exploser. Et avec elle les scandales à répétition. Prenons l’exemple des Ouïghour·es - une minorité turcophone et de religion musulmane persécutée par Pékin - forcé·es de travailler dans les champs de coton chinois afin de produire des vêtements pour des marques européennes et américaines. L’année dernière, Dilnur Reyhan, sociologue et présidente de l'Institut ouïghour d'Europe, rappelait à mon micro que la Chine produisait environ 20% du coton mondial, dont près de 80% provenaient de la région ouïghoure.
Ce tableau très sombre pourrait nous dissuader de produire et/ou de consommer des vêtements en coton. Mais ce n’est pas le cas, et la demande continue d’augmenter.
Evidemment, pour faire face aux enjeux du coton que nous venons de citer, comme la pollution, l’utilisation de pesticides et le non respect des droits humains, de nombreuses marques se tournent désormais vers le coton biologique, labellisé ou non. Sauf que… selon Textile Exchange, le coton biologique ne représenterait que 1% du coton cultivé dans le monde (chiffre publié en juillet 2021). Le coton biologique ce n’est donc qu’une infime partie de la production mondiale, et pourtant, de plus en plus de marques disent en utiliser. En fait, c’est très simple il y aurait plus de coton biologique en circulation qu’effectivement cultivé. Ah. Houston on a un problème. Et pas qu’un petit problème. Alors comment peut-on expliquer ce “décalage” ? C’est la question à un million d’euros que j’ai posée cette semaine à Nathalie Lebas Vautier, une experte des problématiques de l’industrie textile et fondatrice de Good Fabric. Je vous donne une partie de sa réponse, car vous pourrez retrouver très bientôt notre conversation en entier sur le podcast. Selon elle, il y a (beaucoup) de tricheurs !
Laissez-moi vous raconter une petite anecdote, anecdote que vous pourrez aussi retrouver dans un prochain épisode (pas avec Nathalie, et oui ça fait beaucoup de teasing). Bref, une grande marque française d’habillement pour enfants me racontait qu’au moment où ils ont voulu faire leur transition vers le coton biologique, ils ont trouvé un fournisseur labellisé GOTS. Vous savez, ce fameux label dont je vante les mérites car il permet d’assurer des normes sociales et environnementales. Si leur fournisseur avait tous les certificats pour prouver la labellisation du coton, la marque a quand même souhaité vérifier, et a décidé d’envoyer un échantillon à un laboratoire indépendant. Elle avait effectivement les moyens humains et financiers pour le faire. Et bien, elle n’a pas été déçue, les conclusions étaient sans appel : les échantillons - la marque a fait faire les tests deux fois - contenaient des pesticides et des produits chimiques. Gloups… On avait dit tricheurs, souvenez-vous.
Alors oui, c’est flippant de se dire qu’on nous ment à longueur de temps. Après je n’ai pas dit que tout le monde trichait, simplement que l’argument “ma marque est responsable car j’utilise du coton bio” n’est plus valable. D’abord, parce que coton bio ne veut pas dire équitable. Et puis, on vient de le voir, parce que mathématiquement ce n’est pas possible qu’il y ait autant de coton biologique en circulation.