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On parle beaucoup de surconsommation et de surproduction, surtout en ce moment avec la COP26. Alors j’ai voulu revenir aux origines du problème : pourquoi la mode est-elle capable de produire toujours plus de vêtements ? C’est vrai, quoi, comment est-ce possible ? Récolter la matière première, tisser, teindre et confectionner… toutes ces étapes prennent du temps et certaines sont réalisées à la main par des femmes et des hommes. Difficile donc d’augmenter considérablement la cadence. Sauf que depuis le début des années 2000, la production de vêtements a doublé, et elle pourrait passer de 62 millions de tonnes de vêtements fabriqués en 2015 à 102 millions de tonnes en 2030. En cause : les quantités astronomiques de fringues mises sur le marché par des entreprises comme Shein, H&M, Boohoo ou encore Amazon.
Alors pourquoi la fast-fashion, l’ultra fast-hasion et tous ces énormes groupes sont-ils capables de produire toujours plus de vêtements ? Et bien c’est en partie grâce au pétrole. Des expert·es ont réalisé qu’il y avait une corrélation entre l’augmentation de la production de polyester et la croissance de la fast-fashion. L’une ne va pas sans l’autre.
Dans le rapport “La dépendance cachée de la fast-fashion aux énergies fossiles” de la Changing Markets Foundation, on peut lire : “la production de polyester a été multipliée par neuf au cours des 50 dernières années (…). La production de fibres synthétiques pour l'industrie textile représente actuellement 1,35% de la consommation mondiale de pétrole. Cela dépasse la consommation annuelle de pétrole de l'Espagne.” Je suis allée vérifier ce chiffre et dans un rapport de BP datant de 2020, l’Espagne aurait consommé 1298 milliers de barils par jour en 2019, soit 1,3% de la consommation mondiale (la France c’est 1,6%). Ce que dit aussi la note de bas de page du rapport.
Le rapport continue : “On estime que les fibres synthétiques passeront de 69% à 73% de la production totale de fibres dans le monde d'ici à 2030, le polyester représentant 85% de cette production. En d'autres termes, si l'industrie de la mode continue de fonctionner comme d'habitude, dans moins de 10 ans, près des trois quarts de nos textiles seront produits à partir d’énergies fossiles.”
Est-ce que la mode, à la recherche de nouveaux matériaux pour vendre plus, a entraîné la croissance de la production de polyester, ou est-ce que cette croissance a permis à l’industrie textile de grossir ? On peut débattre de la question, c’est un peu comme l’oeuf et la poule, mais une chose est sûre, selon l'Agence internationale de l'énergie, la production de fibres synthétiques pour le secteur textile représente 15% de la production de plastique, ce qui fait du secteur le troisième plus grand utilisateur de plastique, derrière l'emballage et la construction. “Plus de 12% de tout le plastique produit depuis 1950 a servi à fabriquer des fibres en polyester, nylon et acrylique”, a récemment tweeté Maxine Bédat, à la tête du New Standard Institute, une organisation à but non lucratif qui cherche à rendre l’industrie de la mode plus responsable.
Le polyester c’est donc du plastique et des énergies fossiles. Mais cette fibre est-elle vraiment pire que les fibres naturelles comme le coton ? Selon certains indicateurs, comme l'indice Higg, la Sustainable Apparel Coalition (SAC) ou l'outil Environmental Pro t & Loss (EP&L) de Kering, les fibres synthétiques seraient plus responsables que les fibres naturelles. Mais pour le Higg Index par exemple, la méthode d’évaluation ne prend pas en compte l’utilisation et la fin de vie du vêtement, ce qui exclut la pollution aux microparticules de plastique (à cause du lavage) et la question du recyclage. Le Water Footprint Network contredit aussi certaines conclusions et estime que l'empreinte hydrique du polyester est en fait sept fois supérieure à celle du coton (contrairement à ce qui est annoncé par ces indicateurs). Difficile donc d’y voir clair parmi tous ces chiffres contradictoires.
En tout cas, on peut dire que la mode produit toujours plus de vêtements, en partie grâce à la croissance des fibres synthétiques comme le polyester, ce qui est loin d’être une bonne nouvelle pour la planète.
Mais alors est-ce que la solution ça ne serait pas le polyester recyclé ? Cela résoudrait le problème de l’impact lié à la fabrication de cette fibre. Certes, mais le polyester fabriqué à partir de bouteilles en plastique engendre d’autres problèmes. D’une part les marques s’auto-proclament responsables sur cette seule base ; cela ne résout pas non plus le problème des microparticules de plastique qui se détachent des vêtements au lavage et terminent dans les rivières et océans. Cette “solution” soutient également la production de plastique (toutes les bouteilles utilisées n’ont pas été repêchées en mer). Mais surtout, c’est super de fabriquer un vêtement à partir de polyester recyclé mais à la fin de sa vie, comme on ne sait pas vraiment le recycler (les technologies de recyclage sont encore limitées), il sera jeté ou brûlé, alors que la bouteille plastique aurait pu être facilement recyclée en bouteille. Et donc, même si les expert·es ne sont pas d’accord sur l’impact de la fabrication du polyester, nous devons surtout nous poser la question de son impact lors du cycle de vie du vêtement.
Pour comprendre les conséquences liées au lavage de nos vêtements et le désastre des microplastiques, je vous invite à écouter cet épisode du podcast. Pour la fin de vie, le rapport cité plus haut nous rappelle que les vêtements que nous ne portons plus et que nous donnons, finissent à l’export. En France, sur les vêtements collectés, 60% sont réutilisés et principalement vendus à l’étranger (90%). “Le marché de Kantamanto au Ghana est l'un des plus grands marchés de vêtements d'occasion en Afrique de l'Ouest, peut-on lire dans le rapport. Le projet Dead White Man’s Clothes a démontré que les vêtement envoyés à l’étranger pour être revendus ne proviennent pas de Blancs morts, comme le supposaient autrefois les habitant·es, mais de l'énorme surproduction et de la surconsommation. On estime que 40 % des vêtements en balles arrivant à Kantamanto sont immédiatement jetés” dans d’immenses décharges à ciel ouvert ou dans les rivières, trop usés, sales, ou de mauvaise qualité pour être vendus. Et c’est bien tout le problème, nos vêtements en polyester (= en plastique) de mauvaise qualité terminent leur vie dans des décharges et polluent les sols et les rivières à l’étranger. Loin des yeux, loin du coeur… et donc loin de l’éthique et de l’écologie.